Arcade Fire, un retour hypnotique
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Par Stéphane Davet
Depuis les grandes heures de Radiohead (de 1995 à 2003), aucun groupe n'a suscité autant d'attente qu'Arcade Fire. Avec une constance triennale, le sextet de Montréal garantit en effet, depuis la parution de son premier opus, Funeral, en 2004, une production dont la densité créative et émotionnelle valorise comme peu d'autres la pertinence du format album.
Trois ans après The Suburbs, le quatrième chapitre de cette discographie, Reflektor, donne à nouveau la preuve d'une ferveur intacte et d'une ambition formelle toujours revigorée. Ce double album confirme en cela l'excellente impression laissée par la chanson-titre, publiée en single il y a quelques semaines.
La longueur atypique de ce morceau (7 minutes 30 secondes) se justifie par la puissance hypnotique de boucles, dont le groove synthétique avait rarement fréquenté jusque-là les univers concoctés par Arcade Fire. Plus que le caméo minimaliste de David Bowie (prouvant tout de même le respect inspiré par le groupe), c'est la présence de James Murphy, à la coproduction et au mixage, qui laisse son empreinte sur la direction artistique de ce titre et d'une grande partie de ce nouvel album.
Au sein du groupe LCD Sound System et à la tête de la maison de production DFA, ce musicien, DJ et producteur américain, est devenu, dans les années 2000, une des figures du renouveau dance-rock, signant ses musiques de pulsions à l'implacable allant.
UNE NOUVELLE ROUTE
Comme dans le clip de Reflektor, réalisé par le Néerlandais Anton Corbijn, qui met en scène le groupe au volant d'un camion, il semble que ces préoccupations rythmiques ont lancé la formation américano-québécoise sur une nouvelle route.
Si la flamme épique et joliment torturée du chanteur texan Win Butler demeure un fil rouge, chaque album d'Arcade Fire a dessiné un voyage singulier. Avec Funeral, il magnifiait le thème du deuil en confrontant instrumentation acoustique et électrique. Après un Black Mirror (2007) qui se faisait l'écho des malheurs du monde de façon plus théâtrale, The Suburbs (2010) creusait une chanson de proximité, évocation émouvante des souvenirs d'une adolescence banlieusarde.
Moins narratif que ce dernier, Reflektor embrasse de nouveau l'anxiété ambiante, qu'elle trouve son origine dans la déshumanisation numérique, l'injustice sociale ou le vertige intime. Deux titres font référence au mythe d'Orphée – Awful Sound (Oh Eurydice) et It's Never Over (Hey Orpheus) –, peut-être pour signifier que, malgré les efforts des musiciens et des poètes, l'enfer n'est jamais loin.
En mettant en ligne sur sa page YouTube, vendredi 25 octobre, l'intégralité de son double album, Arcade Fire avait accompagné ses musiques d'images d'Orfeu Negro, le film réalisé, en 1959, par Marcel Camus, adaptation brésilienne du mythe orphique, écrite par Vinicius de Moraes et mise en musique par Carlos Jobim et Luiz Bonfa.
UNE MOSAÏQUE D'AUTRES INFLUENCES
Au-delà de la référence à l'éternelle damnation, on pouvait lire là une envie de couleurs et de rythmes tropicaux. Quelques-uns des treize morceaux de Reflektor se nourrissent d'ailleurs de groove caribéens (Flashbulb Eyes) et carnavalesques (la ronde de percussions accompagnant l'humeur dancehall de Here Comes the Night Time). Ces emprunts et leur fusion dans une mosaïque d'autres influences peuvent rappeler la façon dont des groupes comme les Talking Heads (Remain in Light) ou The Clash (London Calling ou Sandinista) conceptualisaient les métissages.
S'ils n'ont pas tous des allures de sarabande, ces longs morceaux sont souvent guidés par une dynamique chamanique (le beat glam rock de Joan of Arc, la basse très Billie Jean du somptueux We Exist, l'electro-pop façon New Order dans Afterlife ...), sur laquelle s'agrègent trouvailles instrumentales et mélodies vivifiantes, portées comme toujours par l'euphorie collective.
Souvent complexes, ne dédaignant pas le grandiose, ces trames évitent la pesanteur et enrichissent les émotions avec luminosité, certains titres se contentant même de la pure excitation du rock (Normal Person) ou d'une apaisante quiétude (la ballade finale Supersymmetry et sa longue coda évanescente).
Reflektor d'Arcade Fire, 2 CD Barclay/Universal.
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Arcade Fire met en ligne "Reflektor" cinq jours avant sa sortie
Le Monde.fr |
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Cinq jours avant sa sortie prévue le 29 octobre, le groupe Arcade Fire a mis en ligne, vendredi 25 octobre, l'intégralité de l'album Reflektor. Ce double disque, d'une durée totale d'une heure et demie, s'est retrouvé sur les rayonnages de quelques disquaires irlandais et tchèques et, de là, très rapidement sur la Toile. Pour contrer cette prolifération, le groupe de Win Butler et Régine Chassagne a décidé de révéler lui-même les nouveaux titres de son album, sur son site et sur YouTube.
Produit par James Murphy, animateur du défunt LCD Soundsystem, Reflektor affiche plus de 230 000 vues sur sa page YouTube et des dizaines de commentaires.
Depuis quelques semaines, toujours pour annoncer la sortie de son album, le groupe canadien proposait également à ses fans un court-métrage interactif, Just a Reflektor.
Lire : Les leurres d'Arcade Fire